7

 

Quand Rupert Boyce lança ses invitations, le kilométrage total qu’elles représentaient atteignait un chiffre impressionnant. Il y avait, pour ne citer que les premiers de la liste, les Foster d’Adélaïde, les Shoenberger d’Haïti, les Farran de Stalingrad, les Moravia de Cincinnati, les Ivanko de Paris et les Sullivan qui habitaient dans le secteur général de l’île de Pâques mais approximativement par quatre mille mètres de fond. Bien qu’il eût invité trente personnes, et c’était là un compliment des plus flatteurs, il en vint plus de quarante – ce qui était à peu près le pourcentage qu’il avait escompté. Seul les Kraus manquèrent à l’appel, mais tout simplement parce qu’ils avaient oublié la ligne internationale de changement de date de sorte qu’ils arrivèrent avec vingt-quatre heures de retard.

À midi, une imposante quantité d’aérocars encombraient le parc et les retardataires allaient avoir à faire une longue trotte lorsqu’ils auraient trouvé un coin où se ranger. En tout cas, sous ce ciel sans nuages et sous une température de 43° C, cela leur paraîtrait une bonne trotte. Tous les modèles de véhicules étaient représentés, depuis les Flitterbugs monoplaces jusqu’aux Cadillac familiales qui ressemblaient plus à des palais aériens qu’à d’honnêtes machines volantes. Mais à cette époque, les moyens de transport n’étaient plus un signe extérieur de rang social.

— Elle est vraiment affreuse, cette maison, dit Jean Morrel tandis que le Météore amorçait une descente en spirale. Elle ressemble plus à une boîte qu’à une villa.

George Greggson, qui était vieux jeu et détestait les atterrissages automatiques, modifia le coefficient de décélération avant de répondre.

— Il n’est pas très loyal de la juger selon un angle pareil. Au sol, elle a peut-être un aspect tout à fait différent. Oh ! Diable !

— Que se passe-t-il ?

— Les Foster sont là. Je reconnaîtrais leurs couleurs n’importe où.

— Bah ! Vous n’avez pas besoin de leur parler si vous n’en avez pas envie. C’est un des avantages des réceptions de Rupert – on peut toujours se perdre dans la foule.

George piquait sur l’aire de stationnement qu’il avait choisie. L’appareil se posa entre un autre Météore et un aérocar qu’aucun de ses occupants ne fut capable d’identifier. L’engin avait l’air très rapide et, de l’avis de Jean, très inconfortable. C’était probablement un des amis techniciens de Rupert qui l’avait construit de ses mains. Pourtant, il semblait à George que c’était interdit.

La chaleur les assaillit comme un coup de lance-flammes quand ils mirent pied à terre. On eût dit qu’elle pompait l’humidité de leur corps et George avait presque l’impression que sa peau se craquelait. Évidemment, c’était en partie leur faute. Ils avaient quitté l’Alaska trois heures plus tôt et ils n’auraient pas dû oublier de régler en conséquence la température de la cabine.

— Quelle idée de vivre dans un endroit pareil ! haleta Jean. Moi qui croyais que le climat était contrôlé !

— Il l’est, répliqua George. Autrefois, c’était un désert. Et regardez ce qu’il est devenu. Venez, ce sera parfait à l’intérieur.

C’est alors que la voix allègre de Rupert, un peu plus sonore que la normale, retentit à leurs oreilles. Leur hôte debout à côté de l’aérocar, un verre dans chaque main, les contemplait de tout son haut, la mine espiègle. De tout son haut, pour la bonne raison qu’il mesurait dans les trois mètres cinquante. En outre, il était semi-transparent. On voyait à travers lui sans beaucoup de peine.

— En voilà une blague à faire à ses invités ! protesta George en tendant la main vers les verres. (Comme de bien entendu, elle les traversa purement et simplement.) J’espère que vous nous donnerez quelque chose de plus tangible quand nous serons entrés !

Rupert éclata de rire.

— Ne vous inquiétez pas ! Dites-moi seulement ce qui vous ferait plaisir et ce sera prêt.

— Deux bières grand format rafraîchies à l’air liquide, se hâta de répondre George. C’est comme si on était déjà là.

Rupert acquiesça, posa l’un des verres sur une table invisible, manœuvra une commande qui ne l’était pas moins et se dématérialisa instantanément.

— C’est la première fois que je vois fonctionner un de ces gadgets, dit Jean. Comment a-t-il bien pu se procurer ça ? Je pensais que les Suzerains en avaient le monopole.

— Avez-vous déjà vu Rupert ne pas obtenir ce qu’il veut ? C’est exactement le joujou qui lui convient. Avec ça, il peut sillonner la moitié de l’Afrique tout en restant confortablement assis dans son bureau. Sans souffrir de la chaleur, sans se faire dévorer par les insectes, sans se fatiguer – et le frigo à portée de la main ! Je me demande quelle aurait été l’opinion de Stanley et de Livingstone !

Le soleil mit un point final à la conversation : ils n’ouvrirent plus la bouche avant d’avoir atteint la maison. La porte, assez difficile à distinguer du reste du mur de verre qui leur faisait face, s’ouvrit automatiquement à leur approche tandis qu’éclatait une fanfare de trompettes, et Jean devina – sans se tromper – que ces flonflons lui donneraient la nausée avant la fin de la journée.

L’actuelle Mme Boyce les accueillit dans le vestibule délicieusement frais. Pour dire la vérité, c’était principalement à cause d’elle qu’il y avait tant de monde. La moitié des invités ou à peu près seraient venus n’importe comment pour voir la nouvelle demeure de Rupert, mais c’étaient les bruits qui couraient sur la nouvelle Mme Boyce qui avaient décidé les hésitants.

Elle était troublante, c’est le seul qualificatif qui convient. Même dans un univers où la beauté faisait quasiment partie du banal et du quotidien, les hommes se retournaient quand elle entrait dans une pièce. Elle devait avoir un quart de sang noir, se dit George. Des traits d’une pureté grecque, de longs cheveux lustrés. Seul son épiderme intensément foncé trahissait le métissage.

— Vous êtes Jean et George, n’est-ce pas ? fit-elle en leur tendant la main. Je suis ravie de vous accueillir. Rupert est en train de faire des tas de mélanges compliqués à l’intention des assoiffés. Venez, je vais vous présenter tout le monde.

Son vibrant contralto déclenchait de petits frissons qui remontaient et descendaient le long de l’échine de George, à croire que sa colonne vertébrale était une flûte dans laquelle quelqu’un soufflait. Il décocha un coup d’œil inquiet à Jean qui avait réussi à plaquer sur ses lèvres un sourire quelque peu artificiel.

— Je… Enchanté de faire votre connaissance, balbutia-t-il quand il eut enfin recouvré l’usage de la parole.

— Les réceptions de Rupert sont toujours merveilleuses, laissa tomber Jean en appuyant sur le « toujours » de telle sorte que l’on devinait parfaitement ce qu’elle sous-entendait : « chaque fois qu’il se remarie ».

George rougit et lui lança un regard réprobateur, mais rien dans son attitude ne permettait de penser que leur hôtesse eût été sensible à cette flèche. Elle était l’amabilité incarnée quand elle les fit entrer dans le grand salon où se pressait déjà un large échantillonnage des innombrables relations de Rupert. Ce dernier était assis devant le tableau de commande de ce qui semblait être un appareil de contrôle T.V. en circuit fermé, et George comprit que c’était cet instrument qui avait projeté son image tout à l’heure. Rupert, fort occupé à faire une nouvelle démonstration à l’intention d’un nouveau couple qui venait d’atterrir, s’interrompit le temps de saluer Jean et George en s’excusant d’avoir donné leurs verres à quelqu’un d’autre.

— Mais vous trouverez tout ce qu’il vous faut par là, ajouta-t-il en agitant vaguement une main derrière lui tout en réglant les commandes de l’autre. Faites comme chez vous. Vous connaissez la plupart des gens. Maïa vous présentera à ceux que vous ne connaissez pas. C’est gentil d’être venu.

— C’est gentil de nous avoir invités, rétorqua Jean sans beaucoup de conviction.

George faisait déjà mouvement en direction du bar et elle se lança à ses trousses en échangeant de temps à autre un bonjour avec telle ou telle personne de connaissance. Les trois quarts des têtes lui étaient totalement étrangères, ce qui était la règle aux réceptions que donnait Rupert.

— Si on explorait un peu les lieux ? proposa-t-elle à George quand ils se furent rafraîchis. J’ai envie de voir un peu à quoi ressemble la maison.

Son cavalier lui emboîta le pas en se retournant une dernière fois vers Maïa sans presque s’en cacher. Jean n’aimait pas, mais pas du tout, son regard absent. C’était vraiment ennuyeux que les hommes fussent foncièrement polygames ! D’un autre côté, s’ils ne l’avaient pas été… Oui, c’était peut-être aussi bien comme ça, après tout.

Il retrouva rapidement son comportement normal quand ils eurent commencé à passer en revue les merveilles de la nouvelle demeure de Rupert. C’était une bien grande résidence pour deux personnes, mais cela valait mieux, compte tenu des fréquentes invasions auxquelles elle aurait à faire face. Le premier étage, considérablement plus vaste que le rez-de-chaussée, le surplombait et lui fournissait de l’ombre. La mécanisation était poussée à l’extrême et la cuisine ressemblait à s’y méprendre au cockpit d’un avion de ligne.

— Pauvre Ruby ! s’exclama Jean. Comme elle se serait plu ici !

— D’après ce que j’ai entendu dire, riposta George qui n’éprouvait qu’une sympathie mitigée à l’endroit de la précédente Mme Boyce, elle file le parfait bonheur avec son Australien.

La chose était si notoire que Jean pouvait difficilement prendre le contre-pied et elle préféra changer de sujet :

— Elle est absolument ravissante, non ?

George avait l’esprit suffisamment en éveil pour ne pas tomber dans le piège.

— Oui, sans doute, répondit-il sur un ton indifférent. À condition d’aimer les brunes, bien sûr.

— Ce qui n’est pas votre cas, si je comprends bien ? fit-elle d’une voix tout miel.

George caressa ses cheveux platinés en riant.

— Ne me faites pas une scène de jalousie, ma chérie. Allons visiter la bibliothèque. Où peut-elle se trouver ? Ici ou au premier ?

— Sûrement en haut, il n’y a plus de place au rez-de-chaussée. D’ailleurs, cela correspond à la conception générale de la maison. Toutes les pièces d’habitation, salles à manger, chambres à coucher, etc. sont relégués en bas. Le haut est réservé à la distraction et à la détente – encore que je trouve qu’une piscine au premier, c’est plutôt curieux.

— Il y a sûrement une raison. (George ouvrit une porte, à tout hasard.) Rupert a dû faire appel à des avis compétents quand il a fait construire. Je suis certain que, réduit à ses seules forces, il aurait déclaré forfait.

— C’est plus que vraisemblable. Il y aurait eu des pièces sans portes et des escaliers ne menant nulle part. J’avoue que j’hésiterais à mettre le pied dans une maison qu’il aurait dessinée lui-même.

— Nous y voilà, annonça George avec la fierté d’un marin qui arrive en vue de la terre ferme. La fabuleuse collection Boyce dans son nouvel écrin. Je me demande combien Rupert a lu de ces livres.

La librairie occupait toute la largeur de la demeure, mais elle était subdivisée en une demi-douzaine de petites pièces isolées par les immenses rayonnages qui la coupaient perpendiculairement et sur lesquels s’entassaient, si la mémoire de George était bonne, quelque quinze mille ouvrages rassemblant à peu près tout ce que l’on avait écrit d’important touchant des sujets nébuleux tels que magie, recherche psychique, divination, télépathie et l’ensemble des phénomènes plus ou moins imprécis relevant de la paraphysique. C’était là un passe-temps inhabituel en cet âge placé sous le signe de la raison. Selon toute vraisemblance, il fallait simplement voir dans cette curiosité, le moyen d’évasion particulier sur lequel Rupert avait jeté son dévolu.

George remarqua l’odeur dès qu’il entra. Une odeur légère mais insistante, plus insolite que désagréable. Jean l’avait perçue, elle aussi, et l’effort qu’elle faisait pour l’identifier plissait son front. Acide acétique, songea George – c’est ce qui s’en rapproche le plus. Mais il y a aussi quelque chose d’autre…

La bibliothèque s’achevait par une sorte d’alcôve juste assez spacieuse pour contenir une table, deux fauteuils et quelques coussins. Sans doute était-ce l’endroit où Rupert s’installait pour lire. Mais c’était pour le moment quelqu’un d’autre qui était en train de lire sous une lampe à la lumière tamisée.

Jean exhala une exclamation étouffée et étreignit la main de George. Sa réaction était excusable. Voir un film à la télévision et se trouver brusquement confronté à la réalité sont deux choses tout à fait différentes. Mais George, qui était rarement pris au dépourvu, s’empressa de saisir la balle au bond :

— J’espère que nous ne vous avons pas dérangé, monsieur, dit-il courtoisement. Nous ne savions pas qu’il y avait quelqu’un. Rupert ne nous a pas prévenus…

Le Suzerain abaissa son livre, les regarda avec attention et se remit à lire, ce qui ne pouvait pas être considéré comme une impolitesse pour un être capable de lire, de parler et, très certainement, de faire pas mal d’autres choses en même temps. Pourtant, le spectacle était désagréablement schizophrénique pour des yeux humains.

— Mon nom est Rashaverak, se présenta civilement le Suzerain. Je crains de ne pas être très sociable mais il est bien difficile de s’arracher à la bibliothèque de Rupert.

Jean parvint à réprimer un éclat de rire nerveux. L’invité imprévu lisait au rythme de deux pages à la seconde. Il ne faisait aucun doute qu’il assimilait chaque mot et elle se demanda si chacun de ses yeux lisait une autre page. « Et il pourrait naturellement apprendre aussi le braille pour se servir de ses doigts par-dessus le marché », pensa-t-elle. L’image mentale suscitée par cette réflexion était trop cocasse pour qu’elle se sente à l’aise et, afin de la chasser, elle entra dans la conversation. Après tout, ce n’était pas tous les jours qu’on avait la chance de discuter avec un des maîtres de la Terre.

George la laissa bavarder après avoir fait les présentations, espérant qu’elle ne dirait rien qui risquerait d’être interprété comme un manque de tact. C’était la première fois, pour lui aussi, qu’il était en face d’un Suzerain en chair et en os. Bien que ces derniers eussent des rapports directs avec les autorités, les savants et les gens qui avaient professionnellement besoin d’entretenir des contacts avec eux, il n’avait jamais entendu dire qu’un extraterrestre eût honoré de sa présence une réception privée. Ce dont on pouvait conclure que celle-ci n’était pas aussi privée qu’il le semblait. Le fait que Rupert était en possession d’un accessoire provenant de la panoplie des Suzerains en était une confirmation supplémentaire et George commençait à se demander, en lettres majuscules, de quoi il retournait au juste. Il allait lui falloir cuisiner Rupert s’il réussissait à l’attraper dans un coin.

Comme les sièges étaient trop petits pour lui, Rashaverak s’était assis par terre et il avait l’air de se trouver tout à fait à l’aise car il avait dédaigné les coussins. Dans cette position, sa tête plafonnait à deux mètres du sol et c’était pour George une occasion inespérée d’étudier la biologie des extraterrestres. Malheureusement, ne connaissant pas grand-chose à la biologie terrestre, il n’en apprit guère plus qu’il ne savait déjà. La seule particularité notable était cette odeur d’acide acétique, nullement déplaisante d’ailleurs. Mais quel était le fumet des humains aux narines des extraterrestres ? Il ne pouvait qu’espérer que ce ne fût pas un arôme par trop répugnant.

Il n’y avait rien d’anthropomorphe chez Rashaverak. Il était compréhensible que des sauvages ignorants et terrorisés voyant les Suzerains de loin les prennent pour des hommes ailés et, à partir de là, il n’y avait qu’un pas à franchir pour avoir le portrait traditionnel du Démon. Mais, de près, une partie de l’illusion se dissipait. Les petites cornes (quelle était leur fonction ?) étaient en conformité avec l’image diabolique mais le corps ne ressemblait ni à celui d’un homme ni à celui d’aucun animal connu, passé ou présent. Les Suzerains, issus d’un tronc évolutionnaire totalement étranger, n’étaient ni des mammifères, ni des insectes, ni des reptiles. Il n’était même pas évident qu’ils appartinssent à la classe des vertébrés : leur coriace carapace pouvait fort bien être un squelette externe.

Les ailes de Rashaverak étaient repliées et George les distinguait mal, mais sa queue, tel un bout de tuyau d’arrosage cuirassé, était lovée sous lui. Sa fameuse pointe barbelée rappelait davantage un gros losange aplati qu’une tête de flèche. On pensait généralement que cet appendice faisait office de stabilisateur de vol à l’instar des plumes rectrices chez l’oiseau. Se fondant sur les rares données fragmentaires existantes et sur des suppositions de ce genre, les savants étaient arrivés à la conclusion que les Suzerains venaient d’une planète à faible gravité et à forte densité atmosphérique.

La voix tonitruante de Rupert tomba soudain d’un haut-parleur invisible :

— Jean ! George ! Où diable vous cachez-vous ? Venez donc nous rejoindre. Les gens commencent à jaser.

— Je ferais peut-être mieux de descendre aussi, dit Rashaverak en remettant le livre à sa place sans avoir besoin de se lever pour cela.

George remarqua pour la première fois que la main du Suzerain comportait cinq doigts et deux pouces opposables. Je n’aimerais vraiment pas faire des opérations arithmétiques sur une base de quatorze, se dit-il.

Voir Rashaverak se mettre debout était un spectacle impressionnant. Il était obligé de se baisser pour ne pas se cogner au plafond. Manifestement, même si les Suzerains avaient été désireux de se mêler aux humains, ils devaient se heurter à des difficultés d’ordre pratique considérables.

Au cours de la demi-heure passée, il y avait eu de nouveaux arrivages et le salon était maintenant archicomble. L’entrée de Rashaverak ne fit qu’aggraver la situation car tous ceux qui étaient dans les pièces voisines se précipitèrent pour le voir. Rupert avait l’air très satisfait de la sensation que provoquait le Suzerain, mais Jean et George, à qui personne ne prêtait attention, l’étaient beaucoup moins. En fait, ils étaient presque invisibles parce qu’ils se tenaient derrière Rashaverak.

— Approchez, Rashy, que je vous présente quelques amis, vociféra Rupert. Asseyez-vous sur le divan. Comme ça, vous n’éraflerez pas le plafond.

Rashaverak, la queue en bandoulière, traversa le salon à la manière d’un brise-glace éperonnant une banquise. Quand il se fut assis à côté du maître de céans, la pièce parut retrouver ses proportions habituelles et George poussa un soupir de soulagement.

— Il me rend claustrophobe quand il est debout. J’aimerais bien savoir comment Rupert s’est débrouillé pour lui mettre la main dessus. J’ai l’impression que cette petite sauterie ne va pas manquer d’intérêt.

— Bizarre que Rupert l’apostrophe comme ça, et en public, qui mieux est. Mais il n’a pas l’air de s’en offusquer. C’est vraiment très singulier.

— Moi, je suis convaincu que ça ne lui a pas plu. L’ennui, avec Rupert, c’est qu’il aime plastronner et qu’il n’a aucun tact. Tiens ! Ça me fait justement penser à quelques-unes des questions que vous avez posées au Suzerain.

— Par exemple ?

— Je ne sais pas… « Depuis combien de temps êtes-vous là ? », « Est-ce que vous vous entendez bien avec le Superviseur Karellen ? », « Est-ce que vous vous plaisez sur la Terre ? » Vraiment, ma chérie… on ne parle pas à un Suzerain sur ce ton !

— Je ne vois pas pourquoi. Il était temps que quelqu’un commence.

Les Shoenberger les abordèrent avant que la discussion ne tournât à l’aigre et le quatuor ne tarda pas à se dissocier : les dames partirent dans une direction pour causer de Mme Boyce et les hommes dans une autre pour en faire tout autant, mais sous un autre angle. Benny Shoenberger, qui était un vieil ami de George, possédait pas mal d’informations sur ce sujet.

— Je vous conjure de garder cela pour vous, commença-t-il. Ruth n’est pas au courant, mais c’est moi qui l’ai présentée à Rupert.

— Je la trouve beaucoup trop bien pour lui, rétorqua George avec envie. Il est impossible que ça dure longtemps. Elle en aura vite assez de lui.

Cette perspective parut le ragaillardir considérablement.

— N’en croyez rien ! Elle n’est pas seulement ravissante, c’est une fille épatante. Il est grand temps que quelqu’un prenne Rupert en main, et elle est précisément la femme qu’il faut pour cela.

À présent, Rupert et Maïa, assis de part et d’autre de Rashaverak, accueillaient leurs invités en grande pompe. En général, les réceptions de Rupert n’étaient pas cristallisées sur un pôle unique. Les hôtes se constituaient en petits groupes qui ne s’occupaient pas les uns des autres. Mais cette fois, tout tournait autour du même centre d’intérêt et George plaignait Maïa : elle aurait dû être la reine de la fête mais Rashaverak l’éclipsait en partie.

— Je me demande bien, dit-il en mordillant un sandwich, comment Rupert s’y est pris pour faire venir un Suzerain. C’est sans précédent, à ma connaissance. Pourtant, il a l’air de trouver cela parfaitement normal. Il n’a même pas mentionné sa présence quand il nous a invités.

— Les petites surprises, il adore, pouffa Benny. Vous n’avez qu’à lui poser la question. Notez quand même que ce n’est pas la première fois qu’un tel événement se produit, après tout. Karellen a été invité à la Maison-Blanche, au palais de Buckingham et…

— Mais c’est tout à fait différent ! Rupert n’est qu’un simple citoyen.

— Et peut-être que Rashaverak est un Suzerain tout à fait subalterne. Mais, je vous le répète : interrogez-le.

— Comptez sur moi pour le faire dès que je pourrai coincer Rupert en tête à tête.

— Eh bien, ce ne sera pas pour tout de suite.

Benny avait raison, mais il commençait à y avoir davantage d’animation et il était plus facile de faire montre de patience. La vague paralysie qui s’était emparée de l’assemblée à l’apparition de Rashaverak s’était dissipée. Quelques personnes étaient encore agglutinées autour du Suzerain, mais en dehors de ce groupe, l’habituel phénomène de fragmentation était intervenu et tout le monde se conduisait avec le plus grand naturel. Sullivan, par exemple, était en train d’expliquer ses dernières recherches sous-marines à un auditoire passionné :

— Nous ne savons pas encore quelle taille ils peuvent atteindre. Il y a, pas loin de notre base, une faille où habite un véritable géant. Je l’ai entr’aperçu une fois et je dirais que ses tentacules ne font pas loin de trente mètres en extension.

Une dame émit un couinement horrifié.

— Pouah ! Rien que d’y penser, ça me donne des frissons ! Vous devez être follement courageux.

Sullivan parut stupéfait.

— C’est une idée qui ne m’est jamais venue. Évidemment, je prends les précautions qui s’imposent mais je n’ai jamais été vraiment en danger. Les calmars savent qu’ils ne peuvent pas me manger et tant que je ne m’approche pas trop, ils ne me prêtent pas la moindre attention. La plupart des animaux marins vous laissent tranquilles si vous ne les dérangez pas.

— Mais, tôt ou tard, il vous arrivera fatalement de tomber sur une bestiole qui vous croira comestible, objecta quelqu’un.

— Oui, ça se produit de temps à autre, répondit l’ichtyologiste avec insouciance. Je m’efforce de ne pas leur faire de mal parce que, après tout, je cherche à me faire des amis. Dans ces cas-là, j’ouvre mes réacteurs à fond et il ne me faut généralement pas plus d’une minute ou deux pour me mettre hors de portée. Si je suis trop occupé pour prendre le temps de faire joujou, je les chatouille avec un petit courant de deux cents volts. Cela règle le problème. Après, ils ne reviennent plus m’importuner.

On rencontre indubitablement des gens intéressants aux réceptions de Rupert, songeait George en se dirigeant vers un autre groupe. Ses goûts littéraires étaient peut-être spécialisés mais il était éclectique dans le choix de ses amis. Sans même avoir besoin de tourner la tête, George avait sous les yeux un célèbre producteur de films, un poète mineur, un mathématicien, deux acteurs, un ingénieur atomiste, un gardien de réserve, le directeur d’un hebdomadaire d’informations, un statisticien travaillant pour la Banque mondiale, un violoniste virtuose, un professeur d’archéologie et un astrophysicien. Il n’y avait pas d’autres représentants de la profession de George – décorateur de télévision –, ce dont il se félicitait car il ne voulait pas penser au travail. Un travail qu’il aimait, d’ailleurs. En effet, en ce siècle et pour la première fois dans l’histoire, personne n’était astreint à des tâches rebutantes. Mais il avait pour principe de fermer mentalement la porte du studio à la fin de la journée.

Il réussit enfin à coincer Rupert dans la cuisine où son ami essayait des mélanges alcoolisés. Il avait le regard lointain et le ramener sur terre était un peu triste, mais George savait être insensible quand c’était nécessaire.

— Dites donc, Rupert, attaqua-t-il en se juchant sur un coin de table, je crois que vous nous devez à tous quelques explications.

— Hemmm, fit songeusement l’amphitryon en goûtant le breuvage. J’ai bien peur qu’il n’y ait un soupçon de gin en trop.

— Ne cherchez pas d’échappatoire et ne faites pas semblant d’être pompette : je sais parfaitement qu’il n’en est rien. D’où vient votre ami le Suzerain et qu’est-ce qu’il fabrique ici ?

— Je ne vous l’ai pas dit ? Je croyais pourtant l’avoir expliqué à tout le monde. Vous ne deviez pas être là. Naturellement, vous vous étiez cachés dans la bibliothèque. (Il exhala un ricanement que George jugea insultant.) Sachez que c’est elle qui a attiré Rashaverak.

— C’est extraordinaire !

— Pourquoi ?

George ménagea une pause. Il fallait y aller avec doigté. Rupert était très fier de sa collection un peu particulière.

— Euh… c’est-à-dire que compte tenu des connaissances scientifiques des Suzerains, je les vois mal s’intéresser aux phénomènes psychiques et à toutes ces balivernes.

— Balivernes ou pas, ils s’intéressent à la psychologie humaine et je possède un certain nombre d’ouvrages qui peuvent leur en apprendre long là-dessus. Un peu avant que je m’installe ici, un sous-Suzerain adjoint ou un super-Sous-zerain m’a demandé s’ils pouvaient m’emprunter une quinzaine de mes livres parmi les plus rares. C’était apparemment un conservateur de la bibliothèque du British Museum qui lui avait donné cette idée. Vous devinez naturellement ce que j’ai répondu.

— Pas le moins du monde.

— Eh bien, je lui ai dit très poliment qu’il m’avait fallu vingt ans pour réunir ma collection, que je les laisserais avec plaisir consulter mes livres mais qu’il faudrait qu’ils les lisent sur place. Alors, Rashy s’est amené et, depuis, il ingurgite une vingtaine de bouquins par jour. J’aimerais d’ailleurs bien savoir ce qu’il en fait.

George médita sur la question et eut un haussement d’épaules.

— Franchement, les Suzerains baissent dans mon estime. J’aurais cru qu’ils avaient des choses plus sérieuses à faire pour meubler leurs loisirs.

— Quel incorrigible matérialiste ! Jean ne serait certainement pas d’accord avec vous. Mais, même du point de vue pragmatique, oh combien ! qui est le vôtre, c’est logique. Il va de soi que lorsque l’on a affaire à une race primitive, on étudie ses superstitions.

— Sans doute, répondit George, pas tout à fait convaincu.

Trouvant que la table était bien dure, il se leva. Rupert, satisfait de ses dosages, se préparait à rejoindre ses invités dont on entendait les voix plaintives qui le réclamaient à cor et à cri.

— Attendez un peu avant de vous en aller, protesta George. J’ai encore une question à vous poser. Comment vous êtes-vous procuré ce gadget avec lequel vous essayez de faire peur aux gens ?

— Je me suis tout bêtement livré à un petit marchandage. J’ai expliqué à Rashy que cet instrument me serait fort utile dans mon métier et il a transmis mes vœux à qui de droit.

— Excusez-moi si je suis un peu lent, mais en quoi consiste exactement votre nouveau travail ? Bien entendu, cela a quelque chose à voir avec les animaux, je présume ?

— En effet. Je suis un supervétérinaire. Mon rayon d’action couvre dix mille kilomètres carrés de jungle et comme mes patients ne viennent pas à moi, je suis bien obligé d’aller à eux.

— Vous devez avoir du pain sur la planche.

— Oh ! évidemment, il n’est pas question de s’occuper du menu fretin. Je ne soigne que les lions, les éléphants, les rhinocéros et autres grosses bêtes. Tous les matins, je règle l’appareil sur cent mètres d’altitude, je m’installe devant l’écran et je quadrille la jungle. Quand je repère un animal qui a des ennuis, je saute dans l’aérocar en espérant que tout se passera bien. C’est parfois un peu coton. Avec les lions et les bestiaux du même genre, il n’y a pas de problème. Mais essayez donc d’anesthésier un rhino du haut des airs avec une flèche ! C’est un boulot de fou.

— RUPERT ! cria quelqu’un dans le salon.

— Ah ! Par votre faute, j’oublie mes invités. Tenez, prenez ce plateau. C’est celui du vermouth. Je n’ai pas envie de tout mélanger.

 

Le soleil était sur le point de se coucher lorsque George trouva le chemin de la terrasse. Il avait un début de migraine – il y avait de bonnes raisons à cela – et désirait échapper au tohu-bohu qui régnait en bas. Jean, qui dansait beaucoup mieux que lui, avait l’air de s’amuser énormément et refusait de partir au grand dépit de George que l’alcool commençait à rendre amoureux. C’est pourquoi il avait décidé de bouder dans le silence sous les étoiles.

Pour monter sur le toit, on gagnait d’abord le premier étage au moyen d’un escalator, puis l’on gravissait un escalier en spirale qui s’enroulait autour de la colonne de la climatisation et aboutissait à la trappe donnant sur la vaste terrasse. L’aérocar de Rupert était garé à l’extrémité de celle-ci. La partie centrale du toit était un jardin – qui commençait déjà à devenir sauvage – et le reste était tout simplement une plateforme panoramique. George se laissa choir sur une chaise longue et balaya le paysage d’un regard impérial. Il avait l’impression d’être le souverain du royaume qui s’étalait sous ses yeux.

Le spectacle était sensationnel, et c’était une litote. La maison avait été construite en haut d’une large vallée qui, à l’est, plongeait doucement vers les marais et les lacs distants de cinq kilomètres. Vers l’ouest, l’étendue était plate et la jungle venait mourir presque devant la porte de derrière. Mais au delà de la forêt vierge, à cinquante kilomètres au bas mot, se dressait une chaîne de montagnes formant un haut rempart orienté nord-sud. Leurs sommets étaient encapés de neige et les nuages qui flottaient au-dessus des cimes s’embrasaient aux derniers feux du soleil dont s’achevait le quotidien périple. La vue de cette lointaine muraille dégrisa brusquement George.

Les étoiles qui jaillirent avec une hâte indécente dès que l’astre du jour eut sombré derrière l’horizon lui étaient totalement inconnues. Ce fut en vain qu’il chercha à identifier la Croix du Sud. Bien que sa science en astronomie fût courte et qu’il ne fût capable de reconnaître que quelques constellations, l’absence de ces amies familières le mettait mal à l’aise. Tout comme les bruits venant de la jungle, trop proches pour ne pas entamer sa sérénité. J’ai assez pris l’air comme ça, se dit-il. Rentrons retrouver les autres avant qu’une chauve-souris vampire ou quelque aussi charmante bestiole ne vienne voir ce qui se passe ici.

Au moment où il commençait à battre en retraite, quelqu’un émergea de la trappe. Il faisait si noir, à présent, qu’il fut incapable de voir qui c’était.

— Salut ! cria-t-il. Vous aussi, vous en avez assez ?

Son invisible compagnon éclata de rire.

— Rupert est en train de projeter ses films. Je les ai déjà tous vus.

— Je peux vous offrir une cigarette ?

— Merci.

À la flamme de son briquet – George avait un faible pour les objets d’antiquité –, il reconnut le garçon, un jeune Noir remarquablement beau. On le lui avait présenté, mais il s’était empressé d’oublier son nom comme il avait oublié celui d’une bonne vingtaine d’invités qu’il ne connaissait ni d’Ève ni d’Adam. Pourtant, les traits du jeune homme avaient quelque chose de vaguement familier et la lumière se fit subitement dans l’esprit de George.

— Je ne crois pas que nous ayons fait connaissance, mais ne seriez-vous pas le nouveau beau-frère de Rupert ?

— Tout juste. Jan Rodricks. Tout le monde affirme que nous nous ressemblons beaucoup, Maïa et moi.

Fallait-il présenter à Jan ses condoléances pour cette parenté de date récente ? George jugea préférable de laisser le pauvre garçon découvrir lui-même son infortune. Après tout, il n’est pas absolument exclu que Rupert s’assagisse, cette fois.

— George Greggson. Vous n’aviez encore jamais assisté aux célèbres réceptions de Rupert ?

— Jamais. Indiscutable, on y rencontre des tas de gens.

— Et pas seulement des humains. C’est la première fois que j’ai eu l’occasion de rencontrer un Suzerain sur le plan mondain.

Comme Jan Rodricks marquait une hésitation, George se demanda s’il n’avait pas commis un impair mais, quand elle vint, la réponse de son interlocuteur ne lui apprit rien :

— Je n’en ai jamais vu, moi non plus – sauf à la télévision, évidemment.

La conversation se mit à languir et George réalisa que Jan avait envie d’être seul. D’ailleurs, il commençait à faire froid. Aussi prit-il congé et rejoignit-il les autres.

La jungle, maintenant, était silencieuse. Jan s’adossa à la colonne de la climatisation. Le seul bruit était le faible murmure de la maison qui respirait à travers ses poumons mécaniques. Il se sentait très solitaire, ce qui était conforme à ses souhaits. Et aussi très frustré mais cela, il ne le désirait aucunement.

Les enfants d'Icare
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